Un drame sanglant vient de se passer au Petit-Frétilly ; il a vivement impressionné la paisible population de Lagord, commune voisine de La Rochelle.
Depuis quelques temps le nommé Ernest COSSEVIN, âgé de vingt ans, faisait la cour à une jeune et jolie fille de seize ans, appartenant, comme lui, à une honnête famille de cultivateurs. Il la recherchait en mariage, et ses sentiments étaient partagés. Aussi rien ne semblait-il devoir mettre obstacle à une union désirée par les deux amants et dans laquelle se rencontraient les convenances de position, de fortune, d'âge et de caractère.
Cependant lorsque COSSEVIN fit une démarche auprès des parents de la jeune Julie BAILLON, pour obtenir sa main, ceux-ci, paraît-il, firent quelques difficultés. Ils n'accueillirent pas sa demande par un refus positif, mais ils crurent devoir ajourner la réalisation de ses vœux, lui représentant que leur fille était trop jeune et que lui-même n'avait pas encore satisfait à la loi de la conscription. Ajoutèrent-ils à ces motifs quelques autres considérations particulières ? Nous l'ignorons.
Toujours est-il que le jeune homme crut voir dans cette réponse le renversement de ses espérances; au sentiment de chagrin qu'il en ressentit vint se mêler celui d'une profonde irritation. Son esprit s'exalta et il conçut de sinistres projets de vengeance.
Une première fois, il essaya de les mettre à exécution en déchargeant sur la mère et la fille BAILLON, un de ces petits pistolets qu'on appelle coups de poing ; mais la balle dont il était chargé dévia, ricocha et passa près d'elles sans les atteindre.
C'est dans la soirée de mardi dernier, et au domicile de la famille BAILLON, que s'accomplissait cet acte criminel.
Une scène plus terrible devait avoir lieu le lendemain; mais cette fois COSSEVIN avait choisi pour victime la fille BAILLON elle-même; seulement il avait résolu, en lui donnant la mort, de ne pas survivre un seul instant à celle qu'il aimait avec passion.
Armé de ses pistolets chargés de chevrotines, il se trouva entre dix et onze heures en face d'elle, près du Petit-Frétilly. Là, à la suite d'un entretien pendant lequel l'exaspération de COSSEVIN arriva progressivement à son comble, le malheureux tira tout à coup un des pistolets de sa poche, en appuya le canon sur le sein gauche de la jeune fille, tandis qu'il s'appliquait l'autre à la région sous-maxillaire. Les deux coups partirent presque simultanément. Mais par un bonheur providentiel, le projectile repoussé par l'air comprimé plutôt que par l'épaisseur des vêtements de Julie BAILLON, ne pénétra qu'à la profondeur de deux centimètres dans les chairs, et n'occasionna qu'une blessure légère qui, on l'espère, sera guérie dans quelques jours.
Chez COSSEVIN, la balle a causé plus de ravages sans pourtant intéresser les parties essentielles: accompagnée de la bourre, elle s'est frayé une large ouverture de bas en haut et est allée se loger dans l'épaisseur d'un des os de la face, d'où, jusqu'à présent, elle n'a pu être extraite. Que l'extraction se fasse ou non, on ne pense pas que les jours de COSSEVIN soient en danger.
A la pression de l'arme sur son sein et au bruit de la double explosion, Julie BAILLON se crut perdue. Mais revenue bientôt à elle-même, elle s'oublia pour ne songer qu'au jeune homme étendu sur le sol. Elle se porta vers lui, étancha le sang qui s'échappait abondamment de sa blessure et lui appliqua un bandeau autour de la tête. Puis elle courut avertir l'autorité locale de ce qui venait de se passer et demander du secours.
On releva COSSEVIN et on le transporta chez lui. M. RABASSA arriva d'abord, puis un médecin de La Rochelle, M. PROS, fut appelé sur-le-champ et le blessé reçut tous les secours de l'art. Son état, comme nous l'avons dit, ne paraît pas inspirer jusqu'ici des craintes sérieuses.
Lorsque COSSEVIN a pu être interrogé, il a cherché, dit-on, à expliquer sa double tentative de meurtre et de suicide en disant qu'elle avait été concertée entre Julie BAILLON et lui. Julie déclare le contraire; mais, loin de manifester le moindre ressentiment contre celui qui a tenté de lui ôter la vie, elle le défend et s'efforce d'atténuer son acte criminel.
L'instruction se poursuit et recueille tous les renseignements qui peuvent éclairer les points encore mystérieux de cette émouvante affaire.
Ernest COSSEVIN, fils de Pierre, cultivateur âgé de 25 ans et de Marie Anne BAUDRY, âgée de 27 ans, est né à Lagord (Charente-Maritime), le 11 août 1843.
Pierre COSSEVIN, cultivateur, né à Lagord, le 11 janvier 1818, fils de défunt Thomas, et d'Elisabeth COSSEVIN, âgée de 62 ans, s’est marié le 4 février 1840, à Lagord, avec Marie Anne BAUDRIS, née à Lagord le 19 juin 1816, fille de François, âgé de 56 ans et de Suzanne COSSEVIN, âgée de 49 ans.
Julie Marguerite BAILLON, fille de Baptiste, cultivateur, âgé de 47 ans et de Jeanne Louise COSSEVIN âgée de 41 ans, est née à Lagord le 9 août 1847.
Julie Marguerite BAILLON s’est mariée à Lagord, le 1er juillet 1867, avec Louis Jean GIRARD, cultivateur, né à Charron (Charente-Maritime), le 11 juillet 1838, fils de Pierre Jean GIRARD, décédé, et de Marie Madeleine GIRARD, décédée.