La cour d'assises de la Meurthe vient de condamner aux travaux forcés à perpétuité le nommé François MARION, convaincu d'avoir voulu empoisonner ses parents dans les circonstances que voici : François MARION, âgé de vingt-cinq ans, vivait avec ses parents et son frère Auguste MARION, à Villers-sous-Preny, où les époux MARION sont meuniers et aubergistes et jouissent de l'estime générale. Tandis que leur second fils ne leur donnait que de la satisfaction, l'aîné, François, paresseux, dissipateur, emporté, condamné récemment à quinze jours d'emprisonnement pour outrages et violences envers le garde-champêtre de sa commune, séparé de fait d'avec sa femme, en guerre ouverte avec son frère et ses parents, n'a répondu depuis longtemps à leurs sages observations que par des injures et des menaces qui, malheureusement, ne devaient pas rester sans effet.
Le 14 juin dernier, la dame MARION fit cuire un morceau de veau dans une chambre à four située derrière la salle des consommateurs de son auberge. Le soir, elle se mit à table en compagnie de son mari, de ses deux fils et de Théodore BAUDOT, son domestique. Lorsqu'on eut mangé le premier plat, elle versa, comme elle le fait habituellement, le jus de la viande sur une salade qu'elle fit passer autour de la table, MARION père n'en voulut pas manger ; son fils Auguste, au contraire, ainsi que BAUDOT, en prirent leur part ; mais en avaient-ils goûté quelques feuilles, qu'ils ressentirent une impression d'aigreur et de brûlure assez prononcée pour les obliger à tout rejeter immédiatement. La mère de famille, étonnée, prit elle-même de la salade et en constata comme eux l'extrême amertume. Elle se servit alors une tranche de veau, et, à peine en eut-elle mangé deux ou trois morceaux, qu'elle ne put continuer. Quant à François, personne ne s'était aperçu qu'il eût goûté de ces aliments, et il sortit de table sans se plaindre d'incommodité.
On s'aperçut bientôt que le veau présentait une teinte verdâtre qui révélait la présence de sulfate de cuivre. La dame se rappela avoir déposé près de la cheminée une pierre de vitriol destinée à la préparation de la semence du blé ; cette pierre avait disparu ; elle n'avait pu tomber accidentellement dans la casserole qui contenait le blé ; et comme les époux MARION n'ont pas d'ennemis, ce fut dans leur maison même que la justice chercha le coupable.
François MARION n'a jamais dissimulé sa haine ni contre ses parents, ni contre son frère ; cette haine, qu'il n'a pas craint de leur exprimer en termes injurieux, même dans ses lettres, s'est traduite le plus souvent en menaces de mort.
L'accusé a si bien compris la gravité de ces charges, qu'il a essayé de les détruire en se créant un alibi. Il prétend que le dimanche 14 juin, dans l'après-midi, il n'est pas entré dans la chambre à four, et que, de quatre heures du soir à huit heures, il n'a pas quitté plusieurs jeunes gens dont il indique les noms. Il reçoit à l'audience un démenti de ces mêmes jeunes gens, et il est constaté qu'il est resté seul avant le dîner.
En présence des charges qui l'accablent, l'accusé a osé rejeter la responsabilité du crime sur sa mère elle-même, sur sa mère à qui, comme le dit le maire de la commune, on ne peut reprocher que trop de bonté pour un fils qui en était si indigne. La femme MARION, s'il faut en croire le système monstrueux de l'accusé, n'aurait pas reculé devant un quadruple empoisonnement, celui de son fils aîné, celui de son mari, celui de la petite fille de l'accusé, qui se trouvait aussi à table, enfin celui de son domestique BAUDOT, le tout afin de rendre son second fils, Auguste, l'héritier de tout le bien de la famille. Mais, si cette horrible supposition pouvait être un seul instant admise, comment la femme MARION aurait-elle mangé elle-même de la viande empoisonnée ? Comment ne se fut-elle pas empressée d'en offrir à l'accusé, qui reconnaît cependant qu'aucune proposition de ce genre ne lui a été faite ? Ne se serait-elle pas bien gardée, au contraire, d'en donner à ce fils Auguste qu'elle préférait à tout, et qu'elle aimait, dit l'accusé, comme ses yeux ?
Déclaré coupable avec circonstances atténuantes, François MARION a été condamné aux travaux forcés à perpétuité.
François MARION, fils de Michel, meunier à Villers-sous-Preny (Meurthe-et-Moselle), âgé de 29 ans, et de Thérèse POIROT, est né le 23 janvier 1838, à Villers-sous-Preny.
Michel MARION, meunier, né à Villers-sous-Preny, le 10 décembre 1808, fils de Baptiste et de défunte Marie POIROT, s'est marié à Villers-sous-Preny, le 8 novembre 1837, avec Thérèse POIROT, née à Villers-sous-Preny, le 18 février 1813, fille de François, cultivateur, âgé de 60 ans, et de Françoise MOISSETTE, âgée de 60 ans, tous deux domiciliés à Villers-sous-Preny.